« L’huile sur le feu » de Charlie Hebdo et Mila « faisant bien de se faire toute petite » : sur C8, Hanouna confond victimes et bourreaux

Par Louis Nadau – Marianne le 22/09/2020 à 13:41

Ce lundi 21 septembre, dans Touche Pas à Mon Poste, Cyril Hanouna organisait un débat sur la polémique entourant les paroles antisémites du rappeur Freeze Corleone. L’occasion, pour « Baba », de condamner au passage, sans distinction, « les dessins de Charlie Hebdo, qui mettent de l’huile sur le feu » et les propos « inadmissibles » de la jeune Mila.

« Hanouna, le virus qui rend con« , titrait en 2016 Charlie Hebdo en référence au virus Zika. A l’époque, l’animateur de C8 s’était distingué par sa réponse pleine d’autodérision, enfilant un costume de moustique pour aller distribuer des exemplaires de l’hebdo satirique à des passants. “Il faut rigoler, il faut se marrer, Je suis Charlie, vous êtes Charlie, nous sommes Charlie”, expliquait-il. Les temps ont bien changé. Ce lundi 21 septembre, dans Touche Pas à Mon Poste, Cyril Hanouna organisait en effet un débat sur la polémique entourant les paroles antisémites du rappeur Freeze Corleone. L’occasion, pour « Baba », de condamner au passage, sans distinction, « les dessins comme ceux de Charlie Hebdo, qui mettent mine de rien de l’huile sur le feu » et de se réjouir que la jeune Mila, harcelée et menacée de mort pour avoir insulté l’islam, « se fasse toute petite« .LIRE AUSSI « Rien à foutre de la Shoah » : voyage dans l’antisémitisme obsessionnel du rappeur Freeze Corleone

DEUX POIDS, DEUX MESURES ?

Pour comprendre ce dangereux amalgame entre critique de la religion – rappelons que le délit de blasphème n’existe pas en France – et discrimination envers une personne ou un groupe de personne en raison de l’appartenance à une religion, un retour en arrière sur l’émission du 17 septembre est nécessaire. Il était alors question de savoir si la censure du rappeur Freeze Corleone était souhaitable ou non. L’œuvre de ce dernier est en effet ponctuée de « punchlines » à caractère antisémite : « Tous les jours RAF (rien à foutre) de la Shoah« , « Tout pour la famille pour qu’mes enfants vivent comme des rentiers juifs« , « J’arrive déterminé comme Adolf dans les années 30« , ou encore « Je t’ai déjà dit, dans le rap y a v’la de Cohen« .

La chroniqueuse Valérie Benaïm s’était insurgée contre ces paroles. « Quand on touche à un noir, un juif, un musulman, on touche à l’humanité« , expliquait-elle, avant de s’emporter : « Je pense que ce type-là est abject, et je lui dis dans les yeux : tu n’es qu’une merde. » Sur les réseaux sociaux, moteur éditorial de TPMP, cette sortie a fait ce week-end l’objet de nombreux commentaires indignés, la chroniqueuse, elle-même de confession juive, étant pour sa part agonie d’injures antisémites.

Lundi soir, TPMP a donc organisé un nouvel épisode de la polémique, en demandant à Valérie Benaïm de préciser sa pensée : « Je suis tombée de l’armoire, j’étais sur le plateau une des seules à être contre la censure de cet artiste« , explique-t-elle sur le plateau. « Si j’écoute mon émotion, j’insulte, mais comme je suis une enfant de la République et c’est la raison qui doit prendre le pas, alors je dis que je suis contre la censure. Il semblerait que les gens estiment que j’ai fait un deux poids deux mesures avec l’affaire Mila.« 

« QU’ON ENTENDE PLUS PARLE D’ELLE »

Cyril Hanouna intervient : « Alors on va rappeler l’affaire Mila : c’était cette jeune adolescente qui avait eu des propos abjects contre l’islam, qu’on avait condamné ici. » Le maître de cérémonie de TPMP déforme ici largement la réalité : au début de l’année, l’adolescente de 17 ans s’était retrouvée au centre d’une polémique nationale après avoir déclaré sur le réseau social Instagram que l’islam était une « religion de merde » et qu’elle « met[tait] un doigt dans le trou du cul » à « votre Dieu » en réponse à des insultes homophobes invoquant « notre dieu Allah, le seul et l’unique » pour la faire « brûler en enfer« . La jeune femme avait alors subi une violente vague de harcèlement numérique : d’autres insultes homophobes, des menaces de mort et des appels au lynchage.
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En juin, trois adolescents impliqués ont été mis en examen pour harcèlement. Sa sécurité ne pouvant être assurée, la lycéenne avait été déscolarisée de son établissement au profit d’un internat sécurisé. L’enquête pour « provocation à la haine » visant Mila avait quant à elle été logiquement été classée sans suite le 30 janvier, le blasphème ne tombant en aucun cas sous le coup de la loi française. L’adolescente continue d’être prise à partie, comme le révélait récemment le Canard enchaîné : reconnue le 15 août lors d’un séjour linguistique à Malte, Mila a été menacée de mort et de viol « au nom d’Allah« .

« Les propos de Mila, je les condamnais, tout en disant, comme pour Freeze, pas de censure« , explique aujourd’hui Valérie Benaïm. Ce qui ne suffit pas, semble-t-il, au procureur Hanouna, lequel semble oublier qui est la victime dans cette affaire : « Ils sont inadmissibles les propos de Mila, je vous le dis, elle fait bien de se faire toute petite maintenant. Qu’on entende plus parler d’elle, ça fait du bien« , déclare-t-il.

« BORDERLINE »

Revenant à la polémique Freeze Corleone, l’animateur interroge alors le rappeur Myra Durden, fervent soutien de son confrère. « On sort des phrases du contexte parce que la Licra adore faire ça sur des gens issus des minorités« , avance-t-il. »Moi je trouve ça a été des phrases sorties de son contexte (sic), il suffit d’écouter l’artiste, d’aller sur in site qui s’appelle Rap Genius, qui explique toutes les phrases, voilà. Par exemple sur le ‘RAF la Shoah’, avant il dit ‘SO l’esclavage’, shout out, donc big up. » Une exégèse s’impose. Selon Myra Durden, il ne s’agirait pas tant, pour Freeze Corleone, de ne « rien avoir à foutre » de la Shoah que d’attirer l’attention sur les crimes de l’esclavage, à propos duquel le devoir de mémoire ne s’imposerait pas avec la même force. Sur le plateau, personne ne lève le petit doigt pour contredire l’argument malsain de la concurrence victimaire, classique de la rhétorique antisémite.

Toujours sans véritable contradiction, Myra Durden déroule ses arguments : « L’art ça a toujours été bordeline, parce qu’un art qui n’est pas borderline, c’est de l’art tiède. L’art ça a toujours été quelque chose de provocant. (…) Le problème c’est que l’affaire Mila, c’est pas de la musique. Ce n’est pas de l’art. C’est juste une fille de seize ans qui a été sur les réseaux et qui a dit du bullshit. (…) Freeze Corleone lui c’est un artiste, donc c’est quelqu’un qui travaille, c’est un des rappeurs les plus techniques, et il est applaudi pour sa technicité.« 

RELATIVISME MALSAIN

Cyril Hanouna saisit la balle au bond : « Moi je pars du principe que quand on choque une personne, il faut arrêter« , affirme celui qui glissait naguère des nouilles dans le caleçon d’un de ses chroniqueurs. « Moi Mila, je vous dis la vérité, pour moi, c’est de la merde ce qu’elle a fait. » « Exactement« , abonde Valérie Benaïm, saisie d’un accès de relativisme.

Sur le ton conciliateur d’un patriarche de PMU, Cyril Hanouna enchaîne alors : « Moi vous le savez, de toute façon, je suis toujours contre les blagues, les discriminations et les provocations sur les religions. » Bye bye le droit à la caricature, so long la liberté d’expression, ciao la laïcité : « Baba » a dit pas touche. « Aujourd’hui on sait que c’est un sujet sensible« , poursuit l’histrion. « Aujourd’hui, on a eu de gros soucis mine de rien, on a connu une crise comme on en a jamais connu, on croyait tous, on ne va pas se mentir, que c’était la fin du monde. » « Mine de rien« , un bien bel hommage aux victimes des attentats islamistes de 2015. A mois que Cyril Hanouna n’évoque le Covid ?

Et l’animateur de conclure, alors que Charlie Hebdo a courageusement republié les caricatures du prophète Mahomet qui avaient fait du journal la cible des djihadistes dont le procès se tient depuis le 2 septembre : « Est-ce qu’on a vraiment besoin aujourd’hui de textes comme ça, de messages comme celui de Mila, qui est insupportable, de, je le dis franchement, de dessins comme ceux de Charlie Hebdo, qui mettent mine de rien de l’huile sur le feu, de paroles dans les chansons de ce rappeur qui sont inadmissibles, mine de rien, parce que les gens qui ont connu la Shoah, les enfants de ceux qui ont connu la Shoah, vous vous rendez compte, quand ils sont dans leurs voitures, qu’ils mettent Skyrock, vous vous rendez compte de ce qu’ils peuvent ressentir ? » La séquence se clôt sur un sondage auprès des téléspectateurs : « Affaire Freeze Corleone : comprenez-vous les critiques des internautes contre Valérie ? » Réponse des « fanzouzes » : Oui à 65 %. Décidément Charlie ne s’était pas trompé sur sa Une en 2016…LIRE AUSSI

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